Que vous vous intéressiez de près ou de loin à la Semantic Search, je suis convaincu que la notion d’intention de recherche a, au moins une fois, sifflé à vos oreilles. Quiconque cherche à améliorer sa visibilité sur le Web doit comprendre comment fonctionne l’intention de recherche.
Si on jette un coup d’œil aux articles qui font mention de l’intention de recherche, on se rend vite compte que ce sujet est trop simplifié et que l’on ne peut pas pleinement comprendre à quel point elle est importante pour la recherche d’information et le SEO. Je souhaite donc apporter un peu plus de profondeur à ce sujet à travers cet article.
C’est peu de le dire que savoir ce qui se cache réellement derrière l’intention de recherche vous aidera à mieux comprendre le comportement de votre public sur le web. Par conséquent, cela vous donnera l’occasion de construire un cadre sémantique plus solide et durable.
Commençons par une brève définition de l’intention de recherche.
Comment définir l’intention de recherche ?
Dans l’esprit collectif, l’intention de recherche est définie comme le besoin sous-jacent à une expression de recherche. Une définition très simpliste qui est souvent soutenue par 4 formes de recherche :
- la recherche navigationnelle
- la recherche informationnelle
- la recherche commerciale
- recherche transactionnelle
Mais si l’on cherche à comprendre la signification de l’intention de recherche de manière plus précise, il vaut mieux parler du concept de besoin d’information. Avant de définir ce que signifie le besoin d’information, je propose de déterminer ce qu’est une information et ce qu’est un besoin. Pour le premier, je vais utiliser la définition donnée par Serge Cacaly dans son livre « Dictionnaire encyclopédique de l’information et de la documentation » publié en 1997.
Qu’est-ce qu’une information ?
Serge Cacally définit le mot « information » comme « l’enregistrement de connaissances dans le but de les transmettre. Cette finalité implique que la connaissance soit inscrite sur un support, afin d’être conservée, et codée, toute représentation de la réalité étant par nature symbolique. »
Qu’est-ce qu’un besoin ?
Un besoin est défini comme un sentiment qui conduit les êtres vivants à certains actes qui leur sont ou leur semblent nécessaires.
Qu’est-ce qu’un besoin d’information ?
Un besoin d’information serait donc considéré comme un sentiment, une sensation qui conduirait l’utilisateur à s’engager dans une activité de recherche d’information. Pour Belkin (1980 : Anomalous states of knowledges as a basis for information retrieval) et Dervin (1986 : Information needs and uses) le besoin d’information est résumé par une prise de conscience par une personne d’une lacune dans l’état de ses connaissances. De ce fait, on considère qu’une personne cherchant une information ne sait rien de son besoin et n’est donc pas qualifiée pour l’exprimer directement.
Cette représentation du besoin d’information peut d’ailleurs être approfondie en explorant deux environnements contraires : le besoin d’information sur internet et le besoin d’information hors internet.
Besoin d’information et process de la demande dans un environnement donné
Besoin d’information hors le web
Dans notre quotidien, le besoin d’information n’est visible qu’à partir de l’activité de recherche de la personne qui prend conscience de son absence ou de son manque de connaissances. En 1992, Peter Ingwersen (Information Retrieval Interaction) s’appuyait sur les travaux en RI (recherche d’information) de C.J. van Rijsbergen pour comparer ce besoin d’information non palpable à la matière noire étudiée en astrophysique.
Pour clarifier mes propos, imaginons que l’élément observable est la demande faîte par un individu auprès d’un autre. Cet autre individu peut-être n’importe qui, un ami, un collègue, une caissière. Suite à cette demande, un dialogue va naître dans le seul but d’affiner le besoin émis.
Yves Le Coadic (1998 : Le besoin d’information. Formulation, négociation, diagnostic), parle de ce dialogue comme étant une phase de négociation dans laquelle deux individus se confrontent pour mettre en correspondance un besoin d’information et une collection de connaissances.
Le dialogue construit une négociation entre deux personnes, le professionnel devant être conscient des distances physiques, linguistiques et cognitives qui interagissent
https://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-1999-03-0131-010
Besoin d’information en SRI
Dès qu’une personne devient utilisatrice d’un système de recherche d’information comme l’est n’importe quel moteur de recherche, son besoin d’information (je le rappelle, besoin d’information = intention de recherche) est naturellement exprimé à travers une expression de recherche.
Cette expression de recherche représente très approximativement, dans la plupart des cas, le besoin d’information sous-jacent (on en revient à notre définition du début).
Dans ce que je pourrais appeler “son plus célèbre papier”, Robert Taylor (1968 : The process of asking questions) faisait mention d’un “label effect” à partir duquel il exprimait une tendance chez les individus à ne pas exprimer clairement tout ce qu’ils savent mais à l’inverse n’utiliser qu’une part, estimée suffisante, de leurs connaissances. Une notion validée et suivie plusieurs années plus tard par Peter Ingwersen (1982 : Cognitive Information Retrieval).
Tout ceci nous amène doucement mais sûrement vers la représentation du comportement de recherche de l’utilisateur. Étant conscient de son manque de connaissance dans un domaine et que de cette méconnaissance en découle une demande d’information très aléatoire, comment l’individu entreprend son voyage vers ce qui lui permettra d’engranger plus de connaissance et de faire évoluer par effet ricochet son processus de recherche d’information ?
Comportement de recherche de l’utilisateur
L’être humain cherchera toujours à faire le moins d’efforts possible pour obtenir ce qu’il veut et cette règle s’applique aussi à la recherche d’information. Même avec une bonne connaissance de son besoin d’information – de son intention de recherche – un utilisateur orientera sa demande en utilisant peu de mots et / ou de concepts pour la définir. Une fainéantise qui n’est pas inconnue dans le milieu de la recherche d’information puisque de nombreux travaux ont déjà été publiés sur le sujet. Je vous suggère à ce titre
les lectures ci-dessous pour alimenter votre curiosité :
- Jansen, Spink & Sarasevic (2000) : Real life, real users, and real needs : a study and analysis of user queries on the web.
- Ingwersen (2000) : User in context
- Spink (2002) : Toward a theoretical framework for information retrieval(IR) evaluation in an information seeking context
Une difficulté d’expression que les moteurs de recherche ont su combler en proposant à l’utilisateur des réponses potentiellement pertinentes par rapport à l’expression de recherche tapée.
On ne peut pas non plus parler de besoin d’information sans parler de l’effort que cela demande à un utilisateur pour sa recherche. Pour qu’un besoin d’information mène à une activité de RI, il faut que l’individu pense qu’il existe une réponse à sa question et que l’effort nécessaire pour obtenir cette réponse n’est pas trop important par rapport au gain attendu.
En effet, les utilisateurs ne sont pas toujours prêts à des efforts inconsidérés pour satisfaire leur besoin d’information, ils doivent avoir un intérêt, être motivés pour en faire l’effort.

Toute recherche d’information nécessite en effet au moins trois types d’efforts (Choo, 2006 : The knowing organization : How Organizations Use Information toConstruct Meaning,Create Knowledge,and Make Decisions) :
- des efforts physiques (se déplacer jusqu’à la source),
- des efforts intellectuels (apprendre à utiliser un SRI, à consulter telle ou telle source, à lier les informations entre elles, à raisonner à partir d’elles)
- des efforts psychologiques (être prêt à consulter des informations ou une source désagréable).
Ces efforts peuvent être conséquents pour l’utilisateur qui va souvent devoir réitérer sa demande à travers plusieurs expressions de recherche. En fonction des résultats obtenus, le besoin peut alors évoluer, et amener l’utilisateur à le reconsidérer et donc à rechercher une information différemment.
Brenda Dervin a élargi cette approche dans son modèle « construction de sens » (https://journals.openedition.org/edc/2306) du besoin d’information dans lequel il établit que chercher de l’information, c’est chercher à comprendre le monde qui nous entoure.
Besoin d’information et incertitude de l’utilisateur
Tefko Saracevic (1996) https://scholar.google.com/citations?user=ERzz6cUAAAAJ&hl=en
Lorsqu’une personne est consciente qu’elle ne sait pas quelque chose, qu’il lui manque une donnée dans ses connaissances, elle subit inconsciemment un état d’incertitude qui va la conduire à rechercher l’information qui lui manque. Cette incertitude peut être liée à deux choses :
- soit un problème à résoudre (on met très souvent cet état en avant quand on parle d’intention de recherche en SEO)
- soit une disparité évidente entre ce que l’on observe d’un événement, ses caractéristiques, et ce qu’il est en réalité.
Le processus de recherche d’information chez l’individu peut alors être vu comme un cheminement pour diminuer cette incertitude, voire la faire disparaître. Mais tout ne se fait pas en un claquement de doigt. Passer d’un état d’incertitude de ses connaissances à un état certain réclame une suite d’étapes qui forment la recherche d’information, les voici :
- Identification du problème
- Définition du problème
- Résolution du problème
- Proposition de solution
Sur un aspect plus philosophique, Platon s’est aussi intéressé à ce paradoxe dans Menon
Citation : comment chercher une chose que l’on ne connaît pas ? Parmi les choses que l’on ignore, comment savoir laquelle chercher ? Comment identifier que l’information trouvée est bien celle que l’on cherche ?
Pour chercher efficacement de l’information, il faut des connaissances préalables (Rouet, 2000 ; Tricot, 2003). On ne cherche que si l’on sait que l’on ne sait pas et que l’on peut trouver. Il faut accepter l’incertitude qui en découle et avoir une motivation pour la réduire ou l’éliminer.
Quels sont les différents types de besoins d’informations ?
Il serait peut-être temps que l’on parle aussi des différents besoins d’informations. Comme je le mentionnais en introduction , la plupart du temps – pour ne pas dire tout le temps – les articles qui font mention de l’intention de recherche la découpe en 4 types de recherches :
- une intention de recherche navigationnelle
- une intention de recherche d’information
- une intention de recherche commerciale
- une intention de recherche transactionnelle
On pourrait aussi aller plus loin en mettant en avant :
- une intention de recherche géographique (locale)
- une intention de recherche de marque
- une intention de recherche sur de l’actualité
A mon sens, et par rapport à ce qui a été expliqué tout du long de cet article, on remarque vite une certaine dissonance entre ce qui est affirmé juste au dessus et repris par le plus grand nombre et ce qu’est en réalité un besoin d’information. A savoir un sentiment de manque (dans ses connaissances) qui amène à le combler.
Dans le but d’améliorer l’assistance aux utilisateurs des centres de documentation ou des systèmes de recherche d’information, différents scientifiques ont proposé des typologies de besoins d’information
C’est Wilson (1981 : On user studies and information needs) qui a parfaitement décrypté cette notion de besoin en la comparant aux besoins primaires, sans lesquels nous ne sommes rien.
Il existe une confusion, peut-être plus fondamentale, dans l’association des mots information et besoin. Cette association imprègne le concept résultat de connotations d’un besoin de base, qualitativement similaire aux autres besoins humains de base
https://newdoc.nccu.edu.tw/teasyllabus/1072155818001/R3%2060%20YEARS%20OF%20THE%20BEST%20IN%20INFORMATION%20RESEARCH.pdf
Des besoins humains qui se traduisent par les psychologues en 3 catégories :
- les besoins physiologiques comme boire, dormir, se nourrir
- les besoins émotionnels / affectifs comme l’accomplissement, la domination
- les besoin cognitifs comme apprendre une nouvelle compétence
Aussi étonnant que cela puisse paraître, ces 3 catégories sont tout à la fois indépendantes qu’interconnectées. Un besoin affectif peut amener à un besoin cognitif (le fait de vouloir être plus épanouie dans son travail peut amener une personne à se former), les besoins physiologiques peuvent conduire à des besoins affectifs et/ou cognitifs (être en bonne santé amène à une meilleure estime de soi et l’envie de conserver cette estime).
Cela fonctionne bien entendu dans le sens inverse, une personne ayant de la difficulté à s’accomplir dans son couple ou sa vie sociale par exemple, aura tendance à négliger ses besoins physiologiques ou aura des besoins émotionnels plus forts (reconnaissance, amour, fidélité etc..)
Ces inteconnections suggèrent que, dans le cadre de la recherche de la satisfaction de ces besoins, une personne peut être amenée à s’interroger sur la façon dont elle peut les combler et donc à adopter un comportement de recherche d’informations.

Peter Ingwersen s’est lui aussi intéressé au comportement utilisateur et à la satisfaction de ses besoins. Il a d’ailleurs mené des travaux de fond sur les besoins cognitifs,(1996 : Cognitive Perspectives of Information Retrieval Interactions : Elements of a cognitive IR theory) lesquels selon lui seraient découpé en 3 catégories :

- Besoin de vérification : l’utilisateur veut vérifier une information ou retrouver des éléments d’informations aux caractéristiques connues. Il veut, par exemple, retrouver des références bibliographiques précises, un article déjà lu ou cité par un autre auteur. Il sait que l’information existe, et parfois où il va la retrouver. La précision des recherches est alors déterminante.
- Besoin conscient (aussi appelé besoin dirigé) : l’utilisateur veut clarifier, passer en revue ou approfondir certains aspects d’un sujet connu. Il possède des informations relatives au sujet, comme des termes, des concepts, des représentations imagées, etc. C’est le cas d’un scientifique qui établit une bibliographie ou de l’ingénieur qui veut exploiter une technique.
- Besoin flou : l’utilisateur veut explorer de nouveaux concepts ou relations en dehors des domaines qu’il connaît, ou les données qu’il connaît sont vagues et incomplètes.
Les SRI classiques ne sont pas du tout adaptés à ce type de besoin : l’usager ne dispose souvent pas, par exemple, du vocabulaire adéquat pour formuler sa demande. Souvent, il ne connaît pas non plus les sources qui pourraient l’aider. Dans de telles circonstances, spécifier une expression de recherche est une méthode de modélisation du besoin inappropriée.
Robert Taylor (1991) distingue quant à lui huit catégories de besoins d’information liés à l’utilisation de l’information (cité par Bartlett & Toms, 2005) :
- Développer, éclairer un contexte
- Comprendre une situation ou un problème donnés
- Bien connaître un sujet précis
- Vérifier ou confirmer un autre élément d’information
- Savoir que faire et comment le faire
- Prévoir des événements
- Se motiver ou préserver son engagement
- Développer ses relations, sa réputation, son statut ou son épanouissement personnel.
À côté de besoins cognitifs, on trouve aussi des besoins pragmatiques, psychologiques ou sociaux. Cette typologie permet de mieux appréhender la diversité des situations qui motivent le chercheur d’information.
Les compétences de recherche de l’utilisateur
Identifier un besoin d’information n’est pas naturel ou inné. On peut ressentir un besoin sans savoir le caractériser, ne pas savoir de quelle information on a besoin ou ne pas avoir conscience qu’il y a problème ou lacune dans ses connaissances (Julien, 1999, citée par Tricot, 2003). On peut aussi ne pas être conscient de la dynamique dans laquelle le besoin d’information va nous faire entrer.

Depuis les années 1990, on sait qu’il ne suffit pas de connaître le besoin d’information sous la forme d’une expression de recherche pour déterminer les objets informationnels adéquats pour y répondre. D’autres composantes liées à l’activité humaine doivent aussi être connues. La tâche peut être définie comme l’ensemble des activités nécessaires, habituelles ou crues comme étant nécessaires pour réaliser un but.
La notion de contexte fait état de l’ensemble des éléments qui vont influencer la tâche (l’activité de recherche d’information), éléments qui sont présentés comme tel :
- contexte de l’utilisateur
- contexte de l’information,
- contexte de l’activité
- contexte du système
- contexte de l’environnement de l’utilisateur
- contexte temporel
- contexte des interactions
Ces contextes sont importants parce qu’ils rendent compréhensible la façon dont les besoins informationnels peuvent changer au sein et entre les situations. Mieux prendre en compte le contexte d’un besoin informationnel, c’est multiplier le recours à des disciplines variées : interaction homme-homme, interaction homme-machine ou encore évolution linguistique.
Cette notion de contexte introduite par Taylor confirme que lorsque deux utilisateurs tapent la même expression de recherche sur un moteur, l’intention, elle, est totalement différente et doit donc conduire à une lecture plus approfondie du besoin d’information non explicité dans la requête.
Pour conclure sur le besoin informationnel
Vous avez pu le constater vous-même, l’intention de recherche n’est pas un besoin figé et strict. Elle est évolutive et propre à chaque individu et contexte. Pour conclure cet article je vous propose une définition en 4 points clés de ce qu’est une intention de recherche :
1. une prise de conscience d’un besoin d’informations,
2. une nécessité ressentie de combler une déficience d’informations,
3. un besoin de résoudre l’incertitude,
4. une contextualisation du besoin par rapport à des situations